14 Novembre 2019
La "souveraineté technologique" c'est l’un des mots à la mode de l’Union européenne. Elle donne l’image d’un espace sûr et sécurisé pour les données locales, exemptes d’interférences ou capturées par les États-Unis et la Chine. La France et l’Allemande ont utilisé cette expression pour lancer toutes sortes d’initiatives, allant des programmes d’intelligence artificielle au cloud computing adossée à l’état. La nouvelle présidente de la Commission européenne, a inscrit ce concept dans ses orientations politiques.
C’est un objectif noble, ne serait-ce que parce qu’il reconnaît que l’Europe n’est pour le moment pas souveraine sur le plan technologique. Les géants de l'Internet se trouvant aux états unis et en Chine - Google, Facebook, Amazon, Alphabet In., Alibaba Group Holding Ltd - et environ 92% des données du monde occidental sont stockées aux USA, selon le groupe de réflexion CEPS. . La Chine représente plus du tiers des demandes de brevet mondiales pour la technologie mobile 5G. Amazon se vante du fait que 80% des entreprises allemandes de premier plan sur le marché DAX utilisent ses services de cloud computing, AWS.
La course à la suprématie entre la Chine et les états unis d’Amérique est l’élément déclencheur, qui se répercute sur le secteur des technologies et compromet la capacité de l’Union Européenne de protéger son territoire. L’interdiction imposée par le président Trump au géant Huawei et ses tentatives visant à intimider les alliés afin qu’ils fassent de même soient une sonnette d’alarme, aussi valables soient-elles ses préoccupations en matière de sécurité. Le "Cloud Act" américain, qui oblige les entreprises américaines à transmettre des données à tout moment, peu importe l’endroit où elles sont stockées, en est un autre. La Chine et les États-Unis considèrent l’UE comme un adversaire facile dans le bras de fer technologique mondial.
Le problème de l’Europe est que la reconquête de la souveraineté n’est ni facile ni bon marché. Prenons le cloud computing, un domaine dans lequel la France et l'Allemagne envisagent de mettre en place une infrastructure nationale "souveraine" à l'intention des entreprises nationales et européennes. Il s’agit d’un marché mondial de 220 milliards de dollars dominé par des fournisseurs américains dont la valeur marchande avoisine les 1000 milliards de dollars et qui investit des dizaines de milliards de dollars chaque année dans les infrastructures. Leur puissance n’est pas uniquement technologique: lorsque Microsoft dépense 7,5 milliards de dollars pour une acquisition telle que GitHub, un forum pour le codage en open source, elle met des développeurs de valeur sur son propre orbite.
La France et l’Allemagne ne gagneront pas une bataille frontale dans ce domaine. La France a déjà eu une tentative infructueuse il y a plusieurs années de construire un cloud souverain pour la modique somme de 150 millions d'euros. En Allemagne, Gaia-X, qui ressemble à un espace commun pour le partage de données entre les principaux acteurs du DAX, de SAP SE à Siemens AG. Il est difficile de voir comment de telles initiatives mèneront à une véritable souveraineté numérique, cependant; non seulement à cause d’un manque d’investissements, mais aussi parce qu’il est difficile d’éviter d’utiliser la technologie cloud américaine.
Néanmoins, ce ne serait pas une mauvaise chose si cette tendance poussait la France et l’Allemagne à collaborer davantage et à mettre les moyens nécessaires à ce projet ambitieux. Et à Bruxelles de faire ce qu’elle fait de mieux: fixer les règles d’engagement pour les entreprises de haute technologie partout dans le monde. La commissaire au numérique, Margrethe Vestager, demande déjà une application plus stricte des lois sur la protection des données et adopte une approche toujours musclée face aux violations des lois antitrust par les géants de la Silicon Valley.
Commenter cet article